La nouvelle hégémonie du double à la française

Sport individuel par essence, le tennis de table peut, comme une grande majorité des sports de raquette, se pratiquer à deux contre deux. Une collaboration spécifique alliant stratégie et coordination faisant d’elle une discipline à part entière depuis des dizaines d’années, pourvoyeuse de médailles internationales et fabuleux vecteur d’émotions. La France en a récemment fait son cheval de bataille, retour sur les origines de ce succès total et analyse de ce nouvel entrain avec Florian Bourrassaud.

 

Forts de son récent succès aux WTT Finals et auréolé d’un titre continental fin 2024, le duo Alexis et Félix Lebrun s’est installé sur le trône du classement mondial en double, une première dans l’histoire du ping français. Simple épiphénomène ? Non, puisqu’une autre paire française truste les premières places depuis plusieurs mois ; Esteban Dorr et Florian Bourrassaud se sont hissés à la troisième place du classement au début du mois de février 2025.

En parallèle de la réussite de ces deux paires, l’importance de la discipline s’est avérée cruciale dans la quête olympique de l’équipe de France masculine à Paris en août 2024. Quatre rencontres, trois victoires et un ultime affrontement contre le Japon pour la médaille de bronze, lors duquel la paire française est sortie victorieuse, lançant parfaitement une rencontre remportée lors de l’opposition décisive par Félix Lebrun. À postériori, cette première médaille olympique pour une équipe de France lors de la compétition en équipe a été en grande partie acquise grâce à la solidité de la paire Simon Gauzy/Alexis Lebrun, uniquement battue par la paire chinoise au cours de cette semaine de rêve.

Si l’impression laissée par les récentes performances des paires françaises semble inédite, la France n’en est pourtant pas à son coup d’essai dans l’exercice puisque d’autres associations ont posé les bases de l’hégémonie tricolore actuelle sur la scène internationale. De Jacques Secrétin, Patrick Birocheau, Claude Bergeret, Jean-Denis Constant, tous médaillés mondiaux à Emmanuel Lebesson et Jia Nan Yuan, champions d’Europe en passant par Patrick Chila et Jean-Phillipe Gatien, médaillés olympiques, la culture du double à la française traverse les âges, une mode bien partie pour durer encore de belles années.

Principale protagoniste de la réussite française en double aux côtés d’Alexis et Félix Lebrun, la paire Esteban Dorr / Florian Bourrassaud s’est récemment démarquée elle aussi en enchaînant les succès, pour parvenir aujourd’hui à s’installer parmi les meilleures paires mondiales. Florian Bourrassaud est revenu sur tout ce cheminement et nous invite dans les coulisses de cette association victorieuse : 

 

Quelles sont les origines de votre association ?

« Nous sommes tous les deux de la même génération (2000), on se côtoie depuis nos années benjamins. En 2017, lors de l’Open de France, nous nous étions retrouvés un peu par hasard et avions décidé de tenter l’expérience en double. Côté sportif, rien de transcendant mais j’ai le souvenir d’avoir passé un bon moment. J’ai ensuite rejoint le centre d’entrainement de Metz l’année suivante et c’est à ce moment que notre entente, aussi bien sportive qu’amicale, s’est formée ; nous avons disputé plusieurs rencontres en double en PRO B avec le club de Metz. Dès lors, nous nous sommes toujours plus ou moins suivis jusqu’à aujourd’hui, à Montpellier. En 2023, nous avons décidé de nous lancer en double sur le circuit international et de fil en aiguille, les résultats ont commencé à tomber. Le déclic a véritablement eu lieu au Contender de Biella, sentiment confirmé par notre finale aux championnats de France. Tout s’est ensuite accéléré, nous avons très bien joué jusqu’à arriver à cette troisième place mondiale aujourd’hui, quelques semaines après avoir vécu nos premiers championnats d’Europe et les WTT Finals à Fukuoka, c’était incroyable ».

Florian Bourrassaud

Le double est avant tout une collaboration lors de laquelle il faut réussir à mettre son partenaire dans les meilleures conditions pour le coup suivant

Comment travaillez-vous pour progresser dans cette discipline et quelle place occupe-t-elle aujourd’hui dans votre quotidien ?

« Avant tout, nous nous sommes posé cette question : comment devenir le plus fort possible, avec nos atouts, alors que les adversaires que nous rencontrons sont, sur le papier, meilleurs d’un point de vue individuel ? Esteban est meilleur dans les variations, possède un sens tactique plus aiguisé et une ligne de sol assez proche de la table. De mon côté, je suis plus puissant, peut-être plus entreprenant et à l’aise sur une ligne de sol plus éloignée, nous nous complétons bien à mon sens. Pour trouver nos marques, nous réalisons des exercices simples : beaucoup de 2 contre 1, afin de jouer un maximum de balles et ainsi peaufiner nos déplacements. Le double est avant tout une collaboration lors de laquelle il faut réussir à mettre son partenaire dans les meilleures conditions pour le coup suivant. Nous sommes tous les deux davantage à l’aise dans nos diagonales revers respectives (Esteban est gaucher, Florian droitier), donc on recherche systématiquement à jouer en ligne pour que la balle suivante arrive dans la zone préférentielle de l’autre (face aux paires droitières). Lorsque nous affrontons une paire gaucher/droitier, notre principal objectif est de rechercher le plein coup droit du droitier. C’est tout ce travail d’analyse, ces répétitions de nos schémas de jeu favoris qui nous ont permis de progresser. Pour y parvenir, nous nous entraînons environ deux heures par semaine lors des périodes creuses et avant les grosses échéances, nous passons à deux heures quotidiennes ».

 

Avez-vous senti une progression d’un point de vue individuel grâce à vos performances en double ?

« Oui absolument. Me concernant j’ai progressé de manière significative dans le jeu court, je n’étais vraiment pas bon avant de commencer à jouer de manière régulière en double. J’arrive à être plus relâché, je fais de meilleurs choix et ça se ressent vraiment sur mon jeu en simple ».

Actuellement, hormis Félix et Alexis, toutes les paires présentes dans le TOP 10 mondial sont composées d’une association gaucher/droitier. Pourquoi cette composition semble si avantageuse d’un point de vue technique et stratégique ?

« Premièrement, le gaucher sert et remet comme s’il jouait en simple, il est donc naturellement plus à l’aise. Ensuite, les déplacements entre un gaucher et un droitier sont plus fluides car les croisements entre les deux joueurs sont moins fréquents. On retrouve des placements que l’on a l’habitude d’avoir en simple, la zone milieu est aussi plus difficilement exploitable par l’adversaire. Dans une configuration gaucher/droitier, les deux joueurs sont globalement plus libres de leur mouvement qu’une association entre deux droitiers ou deux gauchers ».

 

Comment et pourquoi Félix et Alexis Lebrun arrivent-ils à dominer malgré ce désavantage ?

« Ils ont cet avantage d’être de très bons joueurs d’un point de vue individuel, c’est évidemment un avantage par rapport à la majorité des paires adverses mais selon moi, le point de bascule réside dans la parfaite connaissance de l’autre. Frères en dehors mais surtout à la table, cela ne s’invente pas. Ils se connaissent sur le bout des doigts, aussi bien d’un point de vue technique que mental, c’est un atout majeur unique, ou presque. Ensuite, les deux ont apporté une richesse de services et de remises inédite pour une association entre deux droitiers, basée sur beaucoup de latéralité, chose qui devenait désuet au fil du temps. Ils ont également travaillé leurs déplacements si bien qu’ils ne se gênent presque pas en comparaison aux autres associations entre deux droitiers. Ils n’ont pas la même ligne de sol, Alexis étant souvent derrière Félix, et donc, se gênent moins, un peu comme Esteban et moi finalement ».

 

As-tu des conseils à donner pour progresser en double ?

« La première chose qui me vient à l’esprit : l’alchimie entre les deux partenaires. Que l’un soit plus fort ou non, le plus important reste la synergie des deux éléments. À mon sens, il faut se focaliser avant tout sur les points forts de chacun et essayer de jouer dessus. C’est une collaboration, il faut échanger, se dire les choses pour se tirer vers le haut. Tout doit être réalisé pour faire en sorte que les deux joueurs se sentent le plus à l’aise possible. C’est de cette manière, selon moi, que l’on peut réussir à tirer le meilleur d’une paire de double, le tout, en prenant du plaisir ».

 

Florian et Esteban ont désormais les championnats du monde en ligne de mire et semblent sûrs de leurs forces, le tout, saupoudré de cette bonne humeur communicative qui les caractérise. Avec les deux paires Alexis/Félix Lebrun et Esteban Dorr/Florian Bourrassaud, la France possède désormais toutes les cartes en main pour remporter de nouvelles médailles à Doha en mai 2025 (sous réserve de la sélection pour cette compétition), comme l’ont réalisé les plus grandes figures du tennis de table tricolore dans l’histoire du ping international.

Retrouvez la finale des championnats de France de double 2024 entre Bourrassaud/Dorr et les frères Lebrun :

par Rémy Larquetoux