Transformer ce momentum en fondations solides », Gilles Erb, Président De La FFTT

Boosté par l’élan des Jeux Olympiques, l’éclat des frères Lebrun et une volonté assumée de transformer son image, le tennis de table hexagonal est en pleine effervescence. À travers une nouvelle plateforme de marque, une stratégie événementielle ambitieuse et un engagement sociétal renforcé, Gilles Erb détaille les chantiers en cours pour ancrer durablement le ping dans le paysage sportif français.

Interview tirée de Sport Stratégies n°838 – 30 juin – 6 juillet 2025

Gilles Erb, que représente pour vous cette année olympique et ce qu’elle a apporté au tennis de table français ?

C’est une année qui restera gravée dans l’histoire de notre sport. Les frères Lebrun ont offert au tennis de table français deux médailles de bronze, une en simple et une par équipe, ce qui est tout simplement historique. Cela nous a propulsés comme une des disciplines phares des Jeux, quasiment à égalité de visibilité avec des sports qui ont décroché l’or. L’impact a été immédiat : une croissance de plus de 23 % du nombre de licenciés, ce qui fait de nous la fédération ayant enregistré la plus forte progression de tout le mouvement sportif français en 2024 ! Ce bond spectaculaire est une immense fierté pour nous, mais aussi une grande responsabilité pour nos clubs, qui ont ouvert grand leurs portes malgré parfois des moyens limités. Au-delà des chiffres, cela a donné un élan nouveau, un enthousiasme palpable sur tout le territoire.

Justement, comment la fédération a-t-elle réussi à absorber cet afflux et à transformer cet engouement en dynamique durable ?

Notre premier réflexe a été de soutenir nos clubs pour qu’ils puissent accueillir correctement tous ces nouveaux passionnés. Nous avons mis en place un plan spécifique avec une enveloppe budgétaire dédiée, édité un guide de fidélisation pour les clubs et intensifié la formation de nos encadrants. Car accueillir, c’est bien, mais fidéliser, c’est fondamental. Nous avons aussi investi dans la modernisation de certaines infrastructures et encouragé des clubs à créer de nouveaux créneaux pour éviter la saturation. Nous avons beaucoup misé sur des temps forts comme la Fête du Sport en septembre : c’est une période charnière pour s’assurer que celles et ceux qui ont découvert le ping aient envie de rester. On le sait : si la moitié ne revient pas, on perd tout l’élan. Et ce serait dommage, car ce que nous vivons est une opportunité unique de structurer notre base et de la pérenniser.

Cette vitalité se double d’un virage identitaire. Pourquoi ce choix d’une nouvelle image ?

C’était devenu indispensable ! Notre ancien logo était trop rigide, trop institutionnel, sans réelle émotion : il ne parlait ni aux jeunes, ni aux familles, ni aux nouveaux publics qu’on souhaite toucher. Aujourd’hui, pour être une grande fédération, il faut séduire au-delà de ses seuls licenciés : le grand public, les médias, les entreprises. C’est pour cela que nous avons conçu une véritable plateforme de marque. Cela dépasse le simple relooking : nous avons travaillé sur un univers visuel et narratif cohérent, décliné pour toutes nos strates : clubs, comités, ligues. L’idée est que chacun puisse s’approprier cette identité pour renforcer le sentiment d’appartenance. Et surtout, que cette marque moderne parle à celles et ceux qui suivent nos jeunes champions, comme Félix et Alexis Lebrun, Prithika Pavade, Florian Bourrassaud, Esteban Dorr… Nous avons voulu une identité qui reflète l’énergie de notre jeunesse, le dynamisme de nos salles et l’ouverture de notre discipline. Nous avions une équipe de France jeune, dynamique, mais un logo vieillissant : ce décalage est désormais derrière nous.

Cette plateforme de marque a aussi un volet commercial. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Exactement. Nous avons voulu séparer clairement notre usage institutionnel – la FF Tennis de Table – et notre versant commercial, baptisé France Tennis de Table. Pourquoi ? Parce qu’à côté de la performance sportive, nous voulons développer de nouvelles ressources. La plateforme de marque sert donc de socle à une vraie stratégie de merchandising : textile, produits dérivés, goodies… Désormais, quand nous vendons 45 000 billets pour un événement comme le WTT Champions, nous devons aussi savoir vendre des produits à notre public ! Nous voulons que chaque fan puisse porter fièrement nos couleurs, à la salle, à l’école ou au bureau. C’est un levier majeur pour diversifier nos revenus et investir encore plus dans la base : nos clubs, nos éducateurs, nos infrastructures. Cela participe à rendre la fédération plus puissante et plus attractive, à tous les niveaux.

Pour porter cette ambition, vous avez confié votre régie commerciale à une agence spécialisée. Qu’en attendez-vous ?

Nous avons choisi O’Connection, une agence de marketing et relations publiques reconnue. Leur mission est de structurer notre offre de partenariats, de prospecter de nouveaux sponsors et de valoriser pleinement le potentiel du ping français. Notre objectif est d’attirer des entreprises qui partagent notre vision : performance sportive, impact social, et ancrage populaire. Après le succès du partenariat avec le Crédit Mutuel – qui est un partenaire majeur et un vrai signal pour notre crédibilité – nous avons aujourd’hui des discussions avancées avec d’autres groupes. Nous visons à bâtir un pool de partenaires variés : grandes entreprises, marques populaires, mais aussi acteurs engagés qui veulent donner du sens à leur soutien. Je suis convaincu que cette régie va donner un nouvel élan à notre développement économique.

Vous évoquez le Crédit Mutuel : en quoi leur arrivée est-elle si stratégique ?

C’est un partenaire majeur, au-delà de l’aspect financier. Les discussions ont commencé en 2021, mais au départ, miser sur nos seuls champions n’a pas suffi à convaincre. Ce qui a fait basculer la négociation, c’est notre engagement sociétal. Nous ne sommes pas qu’un producteur de performances : nous voulons être utiles à la société. Le Crédit Mutuel est une banque à mission, notre projet Ping Citoyen a trouvé un écho naturel : ping santé pour Alzheimer, ping en milieu carcéral, tables dans les écoles… Nous voulons répondre à une question fondamentale : à quoi sert une fédération ? Pas seulement à produire des médailles, mais à contribuer à une société plus inclusive, plus solidaire. Ce partenariat est une vitrine de notre vision : allier performance et utilité, inspirer et rassembler. Pour nous, c’est un modèle à dupliquer : aujourd’hui, nous avons un argument solide pour convaincre d’autres grands groupes.

Justement, cette double mission est-elle devenue votre marque de fabrique ?

Oui, c’est même ce qui nous distingue dans le paysage sportif. Nous assumons pleinement cette stratégie bicéphale : viser l’excellence sportive, avec des champions qui font rêver et inspirent, tout en affirmant notre rôle d’acteur social. Peu de fédérations peuvent se revendiquer à la fois créatrices de performances de haut niveau et génératrices d’impact positif pour la société. C’est une fierté de pouvoir dire que le ping est un sport populaire, accessible, mais aussi un moteur de transformation sociale. Cette dualité est notre force, et c’est un argument puissant pour séduire de nouveaux partenaires et pour mobiliser nos équipes et nos bénévoles sur le terrain.

Sur le plan événementiel, malgré l’échec pour les Mondiaux, vous restez ambitieux. Où en êtes-vous ?

Oui, la non-attribution des Championnats du Monde 2027 a été un coup dur. Nous avions un dossier solide, un contexte favorable, le soutien de l’État et de notre territoire. Malheureusement, le résultat a été biaisé par des considérations électorales au sein de l’ITTF : nous avons perdu au profit de pays qui ont soutenu l’élection d’un autre candidat. Cela reste amer, mais nous avons gardé notre intégrité. Depuis, nous avons rebondi : nous travaillons activement sur l’accueil d’une Coupe du Monde, et la création de la Race, un circuit national innovant qui valorisera nos 260 tournois pour aboutir à un Grand Prix final. C’est un projet qui va structurer le ping français sur tout le territoire et offrir plus de visibilité à nos compétitions locales. En parallèle, nous modernisons notre championnat professionnel pour offrir un spectacle toujours plus attractif.

Vous avez fait du développement du ping au féminin une grande cause pour 2025. Quels leviers actionnez-vous ?

Nous ne pouvons plus accepter que seulement 20 % de nos licenciés soient des femmes. C’est un frein à notre croissance et une injustice. Pour y remédier, nous avons lancé un Tour de France du ping au féminin : chaque mois, une région accueille conférences, échanges et signatures de chartes d’engagement avec les acteurs locaux. Nous avons déjà réalisé cinq étapes, nous reprenons en septembre. Le Crédit Mutuel est à nos côtés pour soutenir un appel à projets pour les clubs : nouvelles équipes féminines, créneaux dédiés, vestiaires adaptés, recrutement d’entraîneuses… Nous investissons aussi dans la formation des dirigeantes, en lien avec le programme des 300 dirigeantes du CNOSF. C’est tout un écosystème que nous voulons faire évoluer pour que le ping au féminin devienne une évidence partout en France.

À moyen terme, quelles sont vos ambitions pour ancrer durablement cette dynamique ?

Depuis mon arrivée en 2020, le budget fédéral est passé de 5 à plus de 10 millions d’euros. Ce n’est pas une fin en soi, mais cela montre l’ampleur de l’activité et de nos ambitions. Notre priorité : transformer ce momentum en fondations solides. Cela veut dire : renforcer les moyens des clubs, offrir de meilleures conditions de pratique, maintenir nos équipes de France au plus haut niveau, et continuer à affirmer notre rôle sociétal. Nous voulons construire un modèle économique robuste, faire rayonner notre marque et devenir un acteur majeur du sport français, pas seulement en nombre de médailles, mais en capacité à rassembler et à faire société. Je veux que, demain, le ping ne soit pas seulement un sport qui brille aux Jeux tous les quatre ans, mais une pratique vivante, ancrée partout, pour tous, et source de fierté collective. Nous avons toutes les cartes en main pour y parvenir.

Propos recueilli par Alexis Venifleis