Le tennis de table français connaît, depuis le début de la décennie, une explosion de ses talents, permettant à un pays longtemps éclipsé par ses voisins allemands de se placer parmi les références internationales. Derrière l’éclat de Félix Lebrun, symbole d’une génération décomplexée, une vague de jeunes talents pousse. Longtemps reconnu pour sa formation, le tennis de table tricolore confirme régulièrement les espoirs portés en ses talents. Les promesses deviennent des médailles, les espoirs, des certitudes… même si la route reste encore longue avant de détrôner les cadors asiatiques.
Lors du China Smash à Pékin, Félix Lebrun est entré encore un peu plus dans l’histoire du tennis de table tricolore en devenant le premier joueur français à atteindre ce stade de la compétition. Depuis deux ans, il truste les premières places du classement mondial et semble vouloir être imité par un jeune Bruillois, de deux ans son cadet : Flavien Coton. Tous deux ont suivi les traces de Prithika Pavade, elle aussi installée dans le gratin mondial depuis plusieurs années. Leur point commun ? La précocité, phénomène courant en Asie, moins en Europe, qui plus est, en France.
Précoces, Lilian Bardet, Thibault Poret, Florian Bourrassaud, Esteban Dorr et Charlotte Lutz, pour ne citer qu’eux, ont passé ce stade mais commencent eux aussi à se faire un nom sur la scène internationale. Aujourd’hui, quatorze joueurs français figurent parmi les cent dix meilleurs joueurs mondiaux, dont huit dans le top 50, une densité inédite dans l’histoire du ping français.
Si la formation française est une référence européenne depuis plusieurs décennies, elle est arrivée, plus récemment, à faire exploser ses talents au plus haut niveau, là où les générations précédentes ont éprouvé plus de difficultés à se faire une place sur l’échiquier mondial.
Tristan Flore, Quentin Robinot, Andréa Landrieu, Can Akkuzu, Alexandre Cassin, Enzo Angles, Benjamin Brossier, Abdel-Kader Salifou, tous ont été médaillés européens dans les catégories jeunes, sans pour autant transposer cette domination à l’international dans la suite de leurs carrières respectives, très réussies au demeurant.
Alice Joneau, coach de Flavien Coton et désormais membre du staff technique des équipes de France, pointe du doigt trois facteurs déterminants expliquant cette évolution majeure :
« La réforme WTT et l’apparition de nouvelles compétitions ont permis d’avancer plus vite, rendant les meilleures places mondiales plus accessibles qu’auparavant. Ceci étant dit, elle n’est pas la seule raison. L’émulation créée par Félix et Alexis a été un véritable moteur dans ces progressions multiples. Ils ont montré la voie, prouvant à tout le monde que l’impensable était désormais possible. Une autre clé réside dans l’approche individuelle plus poussée dont a bénéficié toute cette nouvelle génération au moment de sa formation. Si le collectif reste une donnée importante, une approche différente, élaborée en étroite collaboration avec l’entraîneur référent depuis leur plus jeune âge — Alice pour Flavien, Nathanaël Molin et Jérémy Surault pour Félix et Alexis, Nicolas Gaudelas pour Thibault Poret — a été développée. Avoir une personne de confiance, proche de l’athlète depuis son plus jeune âge jusqu’au début de sa carrière professionnelle est une donnée cruciale à mon sens De plus, des processus ont été mis en place dès la détection pour permettre l’éclosion, puis l’explosion de ces talents. Par exemple, Félix et Flavien sont partis au Japon dès 9 ans pour se frotter à un environnement d’entraînement différent. Nous sommes aujourd’hui plus précis dans tous les domaines : des séances individualisées à la préparation physique en passant par l’approche mentale, rien n’est laissé au hasard. Nous avons beaucoup progressé dans nos méthodes d’encadrement individuel. Le niveau mondial s’est drastiquement élevé au cours des dernières années et exigeait donc ces changements. Tout va beaucoup plus vite, nous sommes dans une constante recherche d’adaptation, d’amélioration car sans ça, nous accuserions du retard par rapport aux autres nations. C’est le cas avec Flavien par exemple. Il est un véritable TGV, j’ai parfois du mal à suivre mais nous nous efforçons de continuellement rechercher de nouvelles méthodes afin de lui faire passer un nouveau cap. Nous, les entraîneurs, progressons aussi très vite ».
À l’image de leurs aînés cités précédemment, de nouvelles têtes ont affirmé le potentiel natif décelé en elles lors de récentes sorties internationales chez les jeunes. Au cours des dernières semaines, trois compétitions se sont déroulées sur le sol européen : les championnats d’Europe U15/U19, les championnats d’Europe U13 et le Top 10 européen U15/U19, organisé à Tours. Au cours de chacune d’entre elles, le clan tricolore s’est distingué, rapportant au total quatorze médailles, dont huit en or. Albane Rochut, Tim Escudier, Noah Lebrasseur, Lisa Zhao, Simon Clin, Nathan Lam, Alexia Nodin, Nina Guo Zheng, Noah Tessier, Lou-Anne Bocquet, Eva Lam, Léana Hochart, Jade Huynh, le nombre de médaillés tricolores ne peut se compter sur les doigts d’une main, preuve de la domination française à l’échelle continentale. Les Bleu(e)s rayonnent aussi bien chez les grands que chez les petits. Le reste du Vieux Continent l’a appris à ses dépens, l’Asie est désormais prévenue.
Performer contre les Asiatiques, tel est le grand défi qui attend les joueurs de l’équipe de France. Un désir insatiable, ou presque, perdurant depuis longtemps. Si Félix, Simon, Lilian, Alexis ont déjà signé d’éclatantes victoires face à eux, la tâche la plus difficile réside dans le caractère répétitif de ces performances. Si les garçons les ont déjà poussés dans leurs retranchements, côté filles, le problème persiste, aussi bien à l’échelle française qu’européenne. Le constat est limpide : dans les catégories jeunes ou chez les adultes, Chine, Japon, Taïwan et Corée raflent tout, ou presque.
« La nouvelle génération de filles possède une véritable force de caractère. C’est une donnée essentielle pour tenter de déloger les Asiatiques de leur piédestal. Elles doivent montrer qu’elles ne sont pas impressionnées, une mentalité désormais bien ancrée dans l’esprit des garçons. La fédération a consolidé l’encadrement chez les filles depuis plusieurs années, avec de nouveaux référents. Je sens, petit à petit, qu’une véritable dynamique collective se met en place et il faudra peut-être l’explosion d’une nouvelle locomotive, à l’instar de Félix, pour accélérer cette dynamique. Au-delà de ça, nous ne battrons pas les joueuses asiatiques en jouant comme elles : il faut trouver de nouvelles approches. Nous y travaillons, même si pour l’instant, nous n’avons pas trouvé la clé. Cependant, ne grillons pas les étapes. Avant de penser à rivaliser avec les joueuses asiatiques, dominons sur la scène continentale » avoue Alice Joneau.
Symbole d’un renouveau assumé, le tennis de table français avance à grande vitesse, porté par une génération exceptionnelle et soutenue par une formation dans une constance recherche de progression. Derrière les performances individuelles, c’est tout un système qui s’affine, nourri par l’ambition de combler enfin le fossé avec l’Asie. À Zadar du 12 au 19 octobre 2025, les Bleu(e)s tenteront d’écrire un nouveau chapitre d’une histoire qui semble bien partie pour durer.
Par Rémy Larquetoux